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Du bio au changement climatique, les défis de la vigne suisse

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La viticulture suisse compte plus de 200 cépages. Un patrimoine génétique unique qui a su résister, au fil des siècles, aux maladies, aux ravageurs
et aux caprices de la météo. Saura-t-il s’adapter au réchauffement climatique et à la concurrence étrangère?

TEXTE | Zélie Schaller
IMAGE | Steve Buissinne @Pixabay

Avec ses régions climatiques contrastées, la Suisse présente une diversité de cépages extraordinaire. Plus de 200 variétés, dont quelque 80 autochtones, se concentrent sur seulement 15’000 hectares. à titre de comparaison, la France dénombrait 383 variétés sur 787’690 hectares en 2017, selon l’Organisation internationale de la vigne et du vin. Conserver ce patrimoine helvétique n’est pas chose aisée. Grêle, chaleurs extrêmes, diminution des pesticides, concurrence étrangère et souci de rentabilité: les défis à relever ne manquent pas pour les vignerons, qui doivent redoubler d’efforts et d’inventivité.

Si la viticulture s’adapte aux conditions météorologiques changeantes, le réchauffement climatique, voire la «surchauffe climatique», comme l’appelle Noémie Graff, vigneronne du domaine Le Satyre, à Begnins (VD), la fragilise. Les épisodes caniculaires, qui aggravent la sécheresse, augmentent et posent problème aux jeunes plants dont les racines sont peu profondes, explique la Vaudoise. Les orages de grêle se font également plus fréquents. Certains producteurs, en Suisse alémanique notamment, protègent leurs vignes au moyen de filets. «Mais cette opération a un coût et transforme le paysage», souligne Noémie Graff.

La carte des terroirs se verra également modifiée. «La viticulture va gagner en altitude et se déplacer vers le nord. Une opportunité pour les régions telles que le Jura», relève Noémie Graff. Les cépages tardifs, tels que le cornalin ou l’humagne rouge, qui ont un cycle végétatif plus long, seront privilégiés dans certaines régions déjà chaudes, indique pour sa part Markus Rienth, professeur à la Haute école de viticulture et œnologie de Changins – HES-SO. Le merlot est déjà cultivé dans le canton de Vaud avec de bons résultats.

Les capacités d’adaptation des cépages

Que l’on se rassure, le chasselas et le pinot noir, cépages précoces, plus sensibles au manque d’eau et aux températures élevées, ne vont pas disparaître. «On peut choisir, par exemple, des clones avec une maturité tardive. Il est aussi possible d’opter pour des porte-greffes, interfaces entre le sol et le greffon, adaptés à la sécheresse et conférant une plus grande vigueur à la vigne», détaille Markus Rienth. L’Institut des sciences en production végétale, à la station Agroscope de Pully (VD), teste de nouveaux porte-greffes pour renforcer la résistance hydrique et l’alimentation minérale, ajoute Vivian Zufferey, chercheur à l’Agroscope. Autre piste explorée: l’enherbement. La présence d’un couvert végétal (herbacées ou ligneux) entre les rangs améliore la structure du sol et, par conséquent, la nutrition de la vigne.

Dans le souci constant de trouver la meilleure adéquation possible entre le terroir et le cépage, d’anciennes variétés, sacrifiées autrefois sur l’autel du rendement, sont remises au goût du jour. Les vieux cépages sont parfaitement adaptés aux conditions locales. Plus tardifs, ils présentent un potentiel acide plus élevé, donc plus faible en alcool.

Les anciens cépages résistent, de surcroît, aux maladies fongiques. Il faut dire que celles-ci se développent d’autant plus rapidement avec la chaleur. De nouvelles pathologies pourraient apparaître. «Des insectes habitués aux régions chaudes, tels que la cicadelle Scaphoideus titanus, principal vecteur de la flavescence dorée, migrent désormais vers le nord», signale Markus Rienth.

Les défis de la conversion au bio

Anciennes et nouvelles variétés possèdent parfois un avenir commun, et la solution peut venir de là. L’Agroscope a lancé, voilà quelques années, le cépage rouge divico, fruit d’un croisement entre le gamaret et le bronner, doté d’une résistance élevée au mildiou, à l’oïdium et à la pourriture grise. La sélection de cette variété comme celle du divona, nouveau cépage blanc homologué l’an passé, permet de diminuer sensiblement l’utilisation de produits phytosanitaires.

Se passer de chimie de synthèse constitue une option de plus en plus retenue par les vignerons suisses, même si cela accroît davantage la complexité de la tâche. Noémie Graff s’est reconvertie au bio il y a quelques années. «C’est une nécessité pour préserver la vigne, les sols et la nature en général», affirme la vigneronne de La Côte.

Porté par l’engouement des consommateurs pour des produits exempts de pesticides et plus sains, le vin bio progresse fortement, mais demeure un marché de niche. Une clientèle jeune et urbaine est prête à débourser davantage pour des vins de qualité. D’un autre côté, la loi du marché pousse irrésistiblement à la baisse des coûts pour faire face à la concurrence des vins étrangers avec, pour corollaire, l’uniformisation des cépages. «Un phénomène fort regrettable», selon Noémie Graff. Car noyer les productions suisses dans les marchés internationaux conduit forcément à une perte de diversité. S’adapter sans s’uniformiser, tel est le défi des cépages helvétiques à l’heure du dérèglement climatique et de la mondialisation.