Politique, équitation, humour ou encore éducation: des personnes de professions et de milieux variés livrent leur point de vue sur l’autorité et ses métamorphoses.

TEXTE | Isabel Jan-Hess
IMAGES | Hervé Annen


«La génération Y a compris que l’autorité se gagne»

L'autorité en question - Alexandre Gaillard // www.revuehemispheres.com

Alexandre Gaillard 42 ans Fondateur de Swiss Koo et professeur de design industriel à l’ECAL / Ecole cantonale d’art de Lausanne – HES-SO

Bricoleur infatigable depuis toujours, Alexandre Gaillard a construit sa vie autour de sa passion. Professeur à l’ECAL, il dirige également sa petite entreprise Swiss Koo, qui fabrique des coucous du XXIe siècle, intégralement Swiss Made. «Je ne me situe jamais dans un rapport d’autorité à proprement parler avec mes étudiants. Il s’agit de moments d’échange et surtout de créativité», précise celui qui a fondé une matériothèque unique au fil de ses dix-sept ans de pratique et de recherche en design industriel.

Pour lui, la notion d’autorité bouge, mais reste finalement bien définie. «La démocratie est en soit une forme de dictature de la majorité. On ne se trouve plus dans des hiérarchies pyramidales, mais dans des cadres institutionnels définis et respectés. Un étudiant ne répondant pas aux critères d’admission ou ne venant pas aux cours échoue aux examens, puis est exclu de la formation. Tout le monde se plie à ces exigences. Mais les jeunes sont aujourd’hui davantage dans la négociation et dans une remise en question des règles. La génération Y a compris que l’autorité se gagne.»

L’entrepreneur voit ces changements comme des ouvertures. «Dans une entreprise, malgré un grand respect de la hiérarchie, les employés se rencontrent socialement. On est moins rigide, davantage dans la collaboration.» Père de deux jeunes enfants, le Nyonnais constate aussi une évolution des principes d’éducation. «On n’en est plus à la baguette, la pédagogie du XXIe amène l’enfant à plus de réflexion sur son comportement. Mais il ne faut pas confondre autorité et fermeté: on peut être dans le consensus, mais pas dans le laxisme.»


«Le tout répressif ne fonctionne plus»

L'autorité en question - Nathalie Studli // www.revuehemispheres.com

Nathalie Studli 48 ans Directrice de l’établissement primaire Lignon /Aïre dans le canton de Genève et ancienne enseignante

C’est certainement dans le milieu scolaire que la métamorphose de l’autorité est parmi les plus visibles. Enseignante, puis directrice de l’établissement primaire du Lignon et d’Aïre à Genève, Nathalie Studli le confirme, mais constate des effets positifs: «La société évolue et l’école avec, souligne cette dynamique quadragénaire, très impliquée dans les projets d’école inclusive menés à Genève. On n’a plus de direction ou d’enseignant tout-puissants, le travail est mené en réseau, par une équipe pluridisciplinaire.»

Un fonctionnement d’autorité partagée, favorisant l’éducation de cette génération d’élèves questionnant régulièrement les règles. «On met en place des stratégies pour asseoir l’autorité dans le dialogue en leur donnant, dès le départ, une place de citoyen, souligne cette mère de deux jeunes adultes. Le tout répressif ne fonctionne plus avec cette génération ouverte sur le monde, dès le plus jeune âge. à travers la réflexion, le partage et l’autoévaluation, on obtient de meilleurs résultats. Cela ne veut pas dire qu’on ne punit plus. Mais lorsque l’élève comprend le sens d’une décision et ses conséquences, il reconnaîtra plus facilement son erreur et acceptera la sanction.» Parallèlement, certains parents ne valorisent plus l’autorité de l’enseignant. «Effectivement, la remise en cause de certaines décisions prises à l’école donne un sentiment de toute-puissance à l’élève, regrette Nathalie Studli. Mais là encore, le dialogue avec la famille, partenaire de l’école et non adversaire, va dans l’intérêt de l’enfant et de son intégration dans la société.»


«Une nouvelle forme de censure retient les humoristes»

L'autorité en question - Laurent Deshusses // www.revuehemispheres.com

Laurent Deshusses 56 ans Comédien, scénariste, auteur et humoriste Genève

Habitué à se moquer de l’autorité durant ses spectacles, Laurent Deshusses pense qu’on peut rire de tout en admettant toutefois que, depuis quelques années, une nouvelle forme de censure retient les humoristes. «Avec l’avènement d’internet, on assiste à un nouveau type de jugement suprême, explique celui qui a joué dans la Revue satirique genevoise et parcouru les routes avec le Cirque Knie. On a un tribunal de bistrot du monde qui, paradoxalement, n’a aucune autorité reconnue, mais une grande influence sur la façon de penser des gens.»

Pour lui, le web, censé amener plus de liberté, a plutôt enlevé toutes les libertés et modifié le rapport à l’autorité. «J’ai parfois envie de mettre un mot, dire une bêtise sur un post, mais je me retiens parce qu’on peut assister ensuite à une avalanche de commentaires haineux, déformant ou interprétant son propos. Le théâtre reste encore une des dernières formes de liberté, car instantané. Mais il convient de différencier l’auteur du comédien, qui n’est qu’un interprète et peut se déresponsabiliser devant une autorité contestant le texte.»

Laurent Deshusses constate aussi une métamorphose de l’autorité dans le positionnement des générations. «Il n’y a plus de frontière entre l’adulte et l’enfant. Autrefois, on avait encore ce respect, même si on faisait des bêtises comme tout enfant ou ado. Il y avait toujours deux mondes, analyse ce père de deux étudiants. J’entends autour de moi des anecdotes assez inquiétantes, comme celle d’un gardien de piscine qui n’a aucune autorité sur des ados ayant des comportements à risque. La seule que craignent et respectent encore les jeunes, je crois, c’est celle de la justice.»


«Interroger l’autorité est à la fois nécessaire et périlleux»

L'autorité en question - Charles Beer // www.revuehemispheres.com

Charles Beer 60 ans Ancien conseiller d’état socialiste à Genève et enseignant à la Haute école de travail social – HETS et à la Haute école de gestion – HEG – HES-SO Genève.

Comme ont pu le démontrer les récentes affaires dans plusieurs cantons, l’élu ne jouit plus de la toute-puissance et de l’impunité. «Et c’est tant mieux, confie l’ancien conseiller d’état genevois Charles Beer. La manière dont on incarne une fonction demande plus de transparence et de modestie. Un élu ne peut être légitimé dans sa fonction s’il transgresse les règles.» La crise de l’autorité atteint de nombreux domaines. L’interroger est à la fois nécessaire et périlleux, souligne celui qui fut régulièrement confronté à la contestation de l’autorité dans son parcours syndical et politique. «Nous vivons à une époque où la contestation générale vise la base et le fonctionnement de nos sociétés démocratiques. La montée du populisme et les fake news parasitent les débats et tendent vers une remise en question des autorités politiques, scientifiques et institutionnelles. Mais ce flot d’informations, parfois contradictoires, conduit aussi à une plus grande exigence de transparence de la part des dirigeants et des institutions. à un renouvellement heureux de l’exercice de l’autorité.»

Pour l’ancien magistrat socialiste, chargé de l’instruction publique de 2003 à 2013, les clés fondamentales de l’exercice de l’autorité restent le partenariat et le dialogue. «Dans cette période de grande mutation sociétale, un pouvoir centralisé ne peut plus faire barrage à la montée du populisme en imposant des décisions sans consulter les premiers intéressés.


«Un cheval ne sera pas contrôlable sans l’instauration d’une relation de confiance»

L'autorité en question - David Deillon // www.revuehemispheres.com

David Deillon 33 ans Ancien cavalier médaillé en saut, aujourd’hui à la tête de la start-up Alogo Analysis Apples (VD)

Le monde équestre connaît bien l’importance de l’autorité. «Un cheval ne sera pas contrôlable sans l’instauration d’une relation de confiance et de complicité avec le cavalier, précise d’emblée David Deillon, ancien professionnel au joli palmarès suisse et international en saut d’obstacles. On est confronté aujourd’hui à des jeunes qui n’ont pas conscience du travail nécessaire pour asseoir cette autorité sur une bête de 600 kilos. Ils brûlent les étapes. Comme dans beaucoup de disciplines sportives, cette volonté de performance immédiate est problématique.»

L’autorité dans le monde de l’équitation est exercée par les instances officielles, également en grande métamorphose. «La fédération équestre internationale travaille dans l’intérêt et le respect de l’animal, mais tout le monde ne respecte pas ces exigences. On assiste à une confrontation entre les défenseurs du bien-être de l’animal et le monde de la compétition sportive. Les règles se sont durcies et ne plaisent pas à tout le monde. Le dopage est considéré comme un acte de maltraitance et disqualifie directement un couple cavalier/ cheval. On ne peut même plus donner une aspirine pour soulager une bête. Ces changements en contrarient certains dans un milieu assez conservateur.»

David Deillon, lui, reste convaincu que les performances sont possibles en travaillant avec l’animal dans ces règles éthiques. Le passionné met toute son énergie dans les recherches menées pas sa petite société Alogo Analysis pour la mise au point de capteurs de mouvement du cheval en travail. «Avec ce système, on donne la parole au cheval et on voit clairement la manière dont il appréhende le passage de l’obstacle.»