«La musique à l’ère de l’instantané» // www.revuehemispheres.com
Every Noise at Once (everynoise.com) est un nuage de points généré par un algorithme. Il répertorie plus de 1’300 genres musicaux, que l’on peut écouter en cliquant dessus. La taille de chaque nom est déterminée par le nombre de titres écoutés, vendus ou commentés en ligne.

La musique à l’ère de l’instantané

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L’arrivée d’internet a profondément modifié la consommation de la musique, disponible partout et à tout moment. Mais elle joue un rôle similaire dans la constitution identitaire des adolescents que pour les générations précédentes.

TEXTE | Nina Seddik

«Avec le temps, va, tout s’en va», chantait Léo Ferré. Si quelque chose perdure néanmoins chez les jeunes, c’est bien l’amour de la musique. Du boom musical des années 1960 à nos jours, elle représente un élément clé de la construction de l’identité et reste plébiscitée par 70% des Suisses de 16 à 24 ans, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS). Trente ans auparavant, les résultats se révélaient identiques.

La musique comme forgeur d’identité

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La musique permet aux jeunes de se retrouver entre pairs et de se forger une identité hors du cocon familial, observe la musicologue et sociologue Cécile Prévost-Thomas. © François Wavre | lundi13

«La musique constitue un élément fonda­mental de la socialisation secondaire, explique Cécile Prévost-Thomas, maître de conférences en musicologie et sociologie de la musique à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 et ancienne professeure de médiation de la musique à la Haute Ecole de Musique de Lausanne – HEMU – HES-SO. Elle permet de trouver ses pairs et de se forger une identité hors du cocon familial.» Grâce à la rapidité avec laquelle les chansons peuvent être partagées au sein d’un groupe, internet renforce encore cet espace de liberté et d’opposition symbolique.

Ordinateurs, tablettes, lecteurs MP3, téléphones portables: 70% des Suisses de 15 à 29 ans sont adeptes de ces outils. Neuf sur dix utilisent le smartphone comme support d’écoute, selon l’OFS. «C’est simple, la musique n’a jamais été aussi ubiquitaire qu’aujourd’hui, note Cécile Prévost-Thomas. Le téléphone portable connecte au monde en permanence et facilite le partage.» Un partage encouragé par un profond changement d’habitudes en matière de consommation musicale. L’introduction du format MP3 a largement favorisé l’écoute au titre, et beaucoup moins qu’auparavant, celle d’un album sur toute sa longueur, affirme Stéphanie Molinero, maître de conférences en médiation culturelle à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3.

Baisse de fréquentation des plateformes illégales

Un changement d’habitudes sur la base duquel les plateformes de streaming musical ont créé leur fonds de commerce. En Suisse, ce marché a observé une croissance de 50% ces dernières années. Les plateformes de téléchargement illégales ont, quant à elles, essuyé une baisse de fréquentation de 20%. Faut-il y voir un changement des mentalités? «Un gros travail d’information a été réalisé à ce sujet, beaucoup de plateformes illégales ont été fermées, souligne Cécile Prévost-Thomas. On se dirige vers une nouvelle norme, celle de payer pour la musique que l’on écoute. Elle est intégrée aujourd’hui par une grande partie des jeunes.» Un chemin qui semble toutefois encore long. Selon la Fédération internationale de l’industrie phonographique, 53% des 16-24 ans seraient adeptes du stream ripping, une pratique consistant à récupérer gratuitement des chansons depuis des plateformes de streaming vidéo comme YouTube, grâce à un convertisseur.

En matière de musique, les jeunes n’auraient-ils donc que le mot «virtuel» à la bouche? «Pas du tout, rétorque Cécile Prévost-Thomas. Les concerts et festivals représentent des rassemblements physiques très importants pour eux, un moment privilégié avec l’artiste.» Une tendance qui se confirme en Suisse puisque 80% des 15-29 ans se rendent à une manifestation musicale au moins une fois par année.