« La pollution numérique, une solution plutôt qu’un problème ? » //www.revuehemispheres.com
Il vaut parfois mieux imprimer un e-mail que le conserver dans un data center qui consomme de l’énergie 24h/24, estime le spécialiste Jean-Philippe Trabichet. © Thierry Parel

La pollution numérique, une solution plutôt qu’un problème?

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Il a beau être dématérialisé, le numérique représente une source de pollution conséquente. Mais les technologies digitales constitueraient aussi une source d’économies d’énergie qui n’a pas encore atteint tout son potentiel.

TEXTE | Martine Brocard

«Je reçois souvent des e-mails qui me disent de penser à l’environnement et de ne pas les imprimer… Il s’agit pourtant d’une vraie question, relève Jean-Philippe Trabichet, responsable de la filière informatique à la Haute école de gestion – HEG-Genève – HES-SO. Parfois, il vaudrait mieux imprimer un e-mail et utiliser un petit morceau d’arbre plutôt que de garder ce message dans un data center qui consomme de l’énergie 24h/24.» On a beau l’oublier avec l’avènement des technologies virtuelles et dématérialisées: nos smartphones, tablettes et autres ordinateurs consomment beaucoup d’énergie et génèrent des pollutions bien réelles. Suivant les études, les technologies de l’information et de la communication (TIC) seraient responsables de 2 à 10% des émissions annuelles de CO2 dans le monde. Soit au moins l’équivalent du transport aérien, estimé à 2%.

Fabrication énergivore et recyclage problématique

«Il y a trois stades principaux dans le cycle d’un appareil digital: la production, l’utilisation et l’élimination, pointe Beat Koch, docteur en informatique et cofondateur de GreenITplus, une société bernoise qui conseille les entreprises soucieuses de réduire leur empreinte numérique. L’extraction des matières premières nécessaires à ces technologies requiert des produits chimiques très polluants et cause de graves problèmes sociaux comme des guerres ou du travail des enfants.» En outre, selon des chiffres de l’Agence française de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, 79% de l’énergie consommée sur tout le cycle de vie d’un téléphone portable est due à sa fabrication, contre 19% pour sa phase d’utilisation.

50 millions de tonnes de déchets électroniques (appelés e-waste ou e-déchets), soit l’équivalent de 5’000 tours Eiffel, devraient être générés cette année. Pourtant, seuls 20% sont recyclés correctement, estime Closing the Loop, une entreprise néerlandaise active dans le recyclage des téléphones portables. «Une grande partie des e-déchets finissent dans des décharges en Afrique ou en Asie du Sud», explique Beat Koch. Swisscom estimait en 2017 que les Suisses changeaient de téléphone portable tous les 18 mois en moyenne, que 4 millions de ces appareils sont vendus chaque année sur le territoire helvétique et que pas moins de 8 millions de vieux «natels» dorment dans les tiroirs, au lieu d’être correctement recyclés.

Technologie lourde en CO2

Quant à l’utilisation proprement dite des appareils, elle implique aussi une quantité importante d’électricité, qui provient régulièrement de centrales à gaz, à mazout ou à charbon, responsables d’émissions de gaz à effet de serre. Les data centers, ces bâtiments remplis d’équipement informatique qui hébergent les serveurs et autres bases de données, consomment la majeure partie de cette énergie. Ils produisent une grande chaleur et doivent être refroidis 24h/24 pour éviter les pannes. L’énergie nécessaire à l’envoi d’un e-mail ne se limite donc pas à celle de l’index qui presse sur la souris. Les serveurs de messagerie ont de bonnes chances de se trouver de l’autre côté de l’Atlantique, tandis que le courriel en question contient peut-être un lien vers un site hébergé en Asie. Tout ceci consomme de l’électricité. «L’envoi d’un mail avec une pièce jointe d’un méga équivaut à l’énergie consommée par une ampoule de 20 watts allumée pendant une heure, indique Jean-Philippe Trabichet. Et quand on sait que 1,6 milliard de messages électroniques s’échangent chaque heure dans le monde, on peut imaginer ce que cela représente!» A ce titre, la blockchain, cette technologie de stockage et de transmission d’informations particulièrement prometteuse, mérite une mention particulière. «Chaque transaction blockchain nécessite environ 45 kilowattheures, soit l’équivalent de la consommation d’un ménage helvétique en un jour et demi, illustre Jean-Philippe Trabichet. Quant au bitcoin, indissociable de la blockchain, il consomme en un jour autant qu’un pays comme l’Irlande… Pour l’heure cela ressemble à une catastrophe écologique. Mais on trouvera des solutions.»

Un gage de durabilité

La bombe de la pollution numérique va-t-elle prochainement nous exploser à la figure au même titre que celle du plastique? Pas sûr. «Des études ont démontré que plus la consommation numérique augmente, plus le bilan des autres consommations est bon», fait remarquer Jean-Philippe Trabichet. C’est d’ailleurs la raison d’être de la Global e-Sustainability Initiative, qui prône la construction d’un monde durable en se basant sur les TIC. L’organisation, basée à Bruxelles, estime que d’ici à 2030, le numérique devrait permettre d’économiser 12 giga tonnes de CO2 tous secteurs de l’économie confondus, soit 11 fois la quantité de CO2 économisée par l’Union européenne ces vingt-cinq dernières années. Elle a également calculé que l’agriculture intelligente devrait permettre d’augmenter de 30% le rendement des cultures et que les solutions d’e-working, comme les vidéoconférences ou le travail à la maison, devraient faire baisser de 67% les émissions de CO2 dues au voyage.Les technologies digitales ont d’ailleurs déjà modifié nos modes de consommation d’énergie. Grâce à des applications comme Google maps, nous pouvons éviter de nous retrouver pris dans les embouteillages, qui multiplient par deux la consommation d’essence au kilomètre. Lorsque nous visionnons un film sur l’ordinateur, nous évitons de prendre la voiture pour aller au cinéma. Enfin, les technologies de la ville intelligente se développent constamment. Les poubelles connectées, qui communiquent lorsqu’elles sont pleines, limitant les courses des camions poubelles au strict nécessaire, représentent un bon exemple.

Débrancher la centrale de Mühleberg

Enfin, même si les TIC favorisent la durabilité, chacun peut prendre ses responsabilités pour diminuer son empreinte énergétique (cf. encadré ci-contre). Les gestes possibles sont nombreux, mais il en est un qui tient particulièrement à cœur à Beat Koch: éteindre les appareils la nuit, voire à la pause de midi. «On a tendance à penser que la consommation individuelle est tellement basse que cela ne fait aucune différence, insiste-t-il. Si les millions d’appareils digitaux que compte la Suisse étaient éteints la nuit, cela engendrerait des économies substantielles.» Le fait que l’énergie soit invisible et bon marché constitue même une incitation négative. «Lorsqu’un robinet goutte la nuit, on se lève pour le fermer, pointe Beat Koch. Mais quand il s’agit d’une fuite d’énergie, on ne la voit pas et elle ne coûte pratiquement rien. Pourtant, si les Suisses arrêtaient de gaspiller de l’énergie avec les TIC, on pourrait débrancher la centrale de Mühleberg!»

Technologie lourde en CO2

Quant à l’utilisation proprement dite des appareils, elle implique aussi une quantité importante d’électricité, qui provient régulièrement de centrales à gaz, à mazout ou à charbon, responsables d’émissions de gaz à effet de serre. Les data centers, ces bâtiments remplis d’équipement informatique qui hébergent les serveurs et autres bases de données, consomment la majeure partie de cette énergie. Ils produisent une grande chaleur et doivent être refroidis 24h/24 pour éviter les pannes.

L’énergie nécessaire à l’envoi d’un e-mail ne se limite donc pas à celle de l’index qui presse sur la souris. Les serveurs de messagerie ont de bonnes chances de se trouver de l’autre côté de l’Atlantique, tandis que le courriel en question contient peut-être un lien vers un site hébergé en Asie. Tout ceci consomme de l’électricité. «L’envoi d’un mail avec une pièce jointe d’un méga équivaut à l’énergie consommée par une ampoule de 20 watts allumée pendant une heure, indique Jean-Philippe Trabichet. Et quand on sait que 1,6 milliard de messages électroniques s’échangent chaque heure dans le monde, on peut imaginer ce que cela représente!»

« La pollution numérique, une solution plutôt qu’un problème ? » //www.revuehemispheres.com
Ce graphique, basé sur les données de la Banque mondiale et de l’Union internationale des télécommunications, montre la croissance exponentielle des utilisateurs d’internet dans le monde. Source: données de la Banque mondiale et de l’Union internationale des télécommunications. visualisation interactive disponible sur OurWorldinData.org. Auteur: Max Roser

Conseils pour diminuer son empreinte numérique

Production

Investir dans des appareils numériques de qualité et les garder aussi longtemps que possible.

Utilisation

Faire régulièrement le ménage dans sa boîte aux lettres électronique pour éviter que les serveurs des data centers ne conservent 24h/24 des mails inutiles. S’interroger sur la nécessité de stocker dans le cloud ses photos, qui pèsent généralement plusieurs mégas chacune. Opter pour du courant issu de sources d’énergie renouvelables. Utiliser des moteurs de recherche écologiques comme Ecosia, Lilo ou Ecogine. éteindre son téléphone portable la nuit, son ordinateur à la pause de midi et en quittant son travail.

Recyclage

Ne jamais jeter les appareils à la poubelle. Plutôt que de mettre son ancien portable à la déchetterie, on peut l’apporter dans les filiales de Swisscom ou de Revendo (seulement en Suisse alémanique), qui s’occuperont de le recycler convenablement. Eviter de laisser un appareil numérique usagé dans un tiroir. Un recyclage adéquat permettra en effet d’en extraire les précieuses matières premières pour leur donner une nouvelle vie.