Dans le cadre de sa recherche, Olivier Beaudet - Labrecque a pu montrer que plus du quart des personnes de plus de 55 ans aurait été exposé à la cybercriminalité, comme le phishing ou les fausses annonces en ligne. © Guillaume Perret | Lundi13
Dans le cadre de sa recherche, Olivier Beaudet – Labrecque a pu montrer que plus du quart des personnes de plus de 55 ans aurait été exposé à la cybercriminalité, comme le phishing ou les fausses annonces en ligne. © Guillaume Perret | Lundi13

Les seniors romands, cibles de choix pour les arnaqueurs

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Une étude révèle l’importance des abus financiers à l’encontre des seniors suisses, à qui 420 millions de francs seraient extorqués chaque année. Le phénomène touche davantage les Romands que les Alémaniques ou les Tessinois.

Par Muriel Sudano

Une sublime voiture de sport est vendue d’occasion sur internet, à un prix exceptionnel. Trop beau pour être vrai ! Précisément : le soi-disant propriétaire racontera que beaucoup de gens s’intéressent à sa voiture, mais que vous pouvez quand même l’essayer. Comme il doit partir à l’étranger, il vous propose de laisser les clés dans une boîte aux lettres contre une garantie financière… Un classique : ces fausses annonces en ligne, pour des voitures, des biens immobiliers ou encore des smartphones, comptent parmi les arnaques dont les seniors se disent régulièrement être la cible, en particulier en Suisse romande. Dans une enquête de l’Institut de lutte contre la criminalité économique (ILCE) de la Haute école de gestion Arc – HEG Arc – HES-SO à Neuchâtel, environ 10% des Romands de plus de 55 ans ont avoué s’être intéressés à des annonces qui se sont révélées fausses. C’est presque trois fois plus que les Alémaniques et cinq fois plus que les Tessinois.

Cette étude, menée en collaboration avec Pro Senectute, a recensé 31 types d’abus financiers à l’encontre des seniors : hameçonnages (phishing), vols au bancomat, vente de services non souhaités, faux com­mandements de payer et même pression des proches pour obtenir des biens ou de l’argent. Ces exemples sont tirés des cinq catégories d’arnaques identifiées par les chercheurs neuchâtelois que sont la cybercriminalité, les vols, les pratiques commerciales douteuses et la maltraitance financière. Dans chacune de ces catégories, la proportion des victimes est sensiblement plus élevée en Suisse romande. Un bon tiers des Romands de plus de 55 ans serait touché, contre un Alémanique sur cinq et un Tessinois sur dix. La raison d’une telle différence est certainement multifactorielle, mais l’étude neuchâteloise a pu en mettre deux en évidence : la langue et la prévention.

Des escrocs francophones

Les Romands ne sont pas plus naïfs que les autres, ils sont juste plus fréquemment ciblés que leurs compatriotes. «Certains abus – notamment relatifs à la cybercrimi­nalité – sont commis depuis l’étranger, relève Olivier Beaudet-Labrecque, criminologue à la HEG Arc et coauteur de l’étude. Or, les francophones sont beaucoup plus nombreux dans le monde que les germanophones ou les italophones.» Le spécialiste cite en exemple les e-mails proposant un faux héritage ou encore les romance scams (arnaques aux sentiments) qui proviennent souvent d’Afrique, de Côte d’Ivoire en particulier. C’est le cas des «brouteurs», comme ils se nomment. «Il s’agit de pros de l’escroquerie, commente Olivier Beaudet- Labrecque. Ils maîtrisent les réseaux sociaux et créent de faux profils sur internet pour entrer en relation avec des personnes vulnérables, souvent des femmes célibataires, veuves ou divorcées. Prétendant vivre en Belgique, en France ou autre, ils entretiennent à distance de fausses relations amoureuses jusqu’à ce que leurs victimes soient prêtes à leur envoyer de l’argent, pour un prétendu billet de train ou les médicaments d’un enfant malade. Ils sont très fiers de leurs prouesses et n’hésitent pas à exhiber billets de banque et grosses voitures, ce qui rend cette organisation criminelle populaire auprès des jeunes désireux de se faire de l’argent facile.»

Le phénomène est très présent en Côte d’Ivoire, et l’ILCE a travaillé avec le gouver­nement ivoirien pour sensibiliser la police et aider les autorités à endiguer ce problème. «Les brouteurs s’avèrent en effet difficiles à arrêter, souligne Olivier Beaudet-Labrecque. En outre, ils possèdent des complices au sein d’institutions financières comme la Western Union, pour retirer l’argent extorqué et envoyé à leur faux nom.» En Suisse, si les femmes seules de plus de 55 ans sont les plus exposées aux romance scams, les hommes mariés, entre 55 et 65 ans, sont également touchés, avec des conséquences financières, mais aussi personnelles, importantes. Car chantage et sextorsion découlent parfois de ces arnaques, en particulier quand les brouteurs sont suffisamment habiles pour obtenir de leurs cibles qu’elles se déshabillent, par exemple, devant leur webcam.

Les hommes plus souvent touchés que les femmes

Excepté dans le cas des arnaques aux sentiments, la proportion des victimes d’abus financiers est sensiblement plus élevée chez les messieurs. Selon l’étude de l’ILCE, près d’un homme sur trois est concerné contre un peu plus d’une femme sur cinq. «Les résultats de notre enquête démontrent que les hommes sont plus nombreux à s’occuper eux-mêmes de leurs finances, relève Olivier Beaudet-Labrecque. Ce qui expliquerait qu’ils se retrouvent plus souvent victimes d’abus. Notons aussi que la cybercriminalité, notamment le phishing ou les fausses an­nonces en ligne, qui constituent les formes les plus courantes, représente une part importante des abus financiers. Plus du quart des personnes de plus de 55 ans y aurait été exposé. Or, toujours selon notre enquête, les hommes seraient plus enclins que les femmes à utiliser les nouvelles technologies.»

Avec sa pièce On va tout dallasser Pamela ! jouée au Théâtre de Vidy en 2016, Marielle Pinsard a souhaité mettre en scène la rhétorique de la séduction en Afrique francophone. La drague permet de rendre compte du fonctionnement de ces sociétés postcoloniales touchées par une extrême pauvreté, ainsi que d’interroger celui de l’Europe. Car la «drague à l’africaine» est liée à ce contexte asymétrique, et parmi ses enjeux figurent l’argent, la dette coloniale ou «reprendre aux Blancs ce qu’ils nous ont pris». © Samuel Rubio
Avec sa pièce On va tout dallasser Pamela ! jouée au Théâtre de Vidy en 2016, Marielle Pinsard a souhaité mettre en scène
la rhétorique de la séduction en Afrique francophone. La drague permet de rendre compte du fonctionnement de ces sociétés postcoloniales touchées par une extrême pauvreté, ainsi que d’interroger celui de l’Europe. Car la «drague à l’africaine» est liée à ce contexte asymétrique, et parmi ses enjeux figurent l’argent, la dette coloniale ou «reprendre aux Blancs ce qu’ils nous ont pris». © Samuel Rubio

Si les cybercriminels ciblent l’ensemble de la population, d’autres abuseurs exploitent spécifiquement la vulnérabilité liée à l’âge. Pas seulement dans le cas des vols à l’arraché, mais également au téléphone. «Les personnes âgées ne raccrochent pas facilement le combiné, de peur d’être impolies. Et les arnaqueurs en profitent, constate le criminologue. Certains réseaux étrangers ciblent les seniors dans le bottin téléphonique en repérant les prénoms anciens. Ils tirent avantage du fait que les aînés entendent parfois mal et baissent volontairement le volume du micro. Dans le cas des pratiques commerciales douteuses, les vendeurs font de même et parlent vite ; ainsi, on peut conclure un contrat à son insu parce qu’on n’a pas bien compris.»

La prévention essentielle

Selon l’étude de l’ILCE, un quart de la population des 55 ans et plus en Suisse aurait été la cible d’abus financiers ces cinq dernières années, avec pour conséquence une perte financière dans 87% des cas. Les chercheurs estiment que 420 millions de francs sont extorqués chaque année aux seniors ! Olivier Beaudet-Labrecque insiste sur l’importance de la prévention : «On constate que certaines arnaques, aujourd’hui connues, ne fonctionnent plus ou beaucoup moins, notamment celle du faux neveu qui téléphone. Il est donc essentiel d’en parler.»

Les résultats de l’enquête montrent en outre que les Alémaniques sont davantage informés sur le sujet que les Romands. L’équipe de l’ILCE a d’ailleurs constaté que la thématique était beaucoup plus présente dans la presse alémanique que dans les médias romands. Pour Olivier Beaudet- Labrecque, il s’agit d’une seconde explication du nombre élevé de victimes d’abus financiers en Suisse romande. Dès lors, qu’envisager à titre de prévention ? «Nous travaillons à la création de livres pour enfants traitant de situations d’abus financiers, répond le chercheur de l’ILCE. L’idée est de l’offrir pour que les grands-parents le lisent à leurs petits-enfants. Nous espérons ainsi sensibiliser deux populations distinctes, les plus âgées et les plus jeunes.» Ne reste désormais qu’à trouver le financement.